D A N S E R
Nombre des ouvres de Pilar Cossio ont cette singuliére propriété de sortir de leur cadre. Ainsi en est-il par exemple de ees rhinocéros dont le troupeau «Transhumant I et II» s’échappe de la toile oü il semble avoir pris naissance pour envahir toute la paroi sur laquelle elle est accrochée.
Une forcé comme irrépressible semble á l’origine de ce franchissement des frontiéres du tableau. Encoré faut-il préciser que, si, dans ce cas, l’ouvre se libere de son cadre en quelque sorte en bafouant les bords latéraux, dans d’autres, c’est plutót dans le sens de l’épaisseur que se joue l’échappée.
Plus que d’une libération vers le hors-champ, c’est alors d’une mise en jeu de la transparence qu’il s’agit. Les couches d’image se stratifient sans s’annuler l’une l’autre et creusent ainsi une sorte d’abime oü la peinture sembré s’engouffrer tout en se faisant toujours plus diaphane et légére. Cette maniere n’est pas sans rapport évidemment avec l’art du collage dont Pilar Cossio a depuis ses debuts fait un tres ampie et subtil usage.
Que l’art de Pilar Cossio travaille ainsi les múltiples figures possibles de l’échappée ne surprendra guére qui prendra garde d’autre part, par déla ees formes en expansión, aux thématiques de ses images. Emblémes récurrents d’un mouvement si constant qu’il semble la condition métaphysique de l’étre, trains, paquebots, cartes, silhouettes de villes, animaux gregaires n’en finissent pas de se déplacer d’un collage á l’autre, d’une peinture á la suivante. Ríen de stable, aucune nature morte, nulle immobilité de quelque genre que ce soit: chez Pilar Cossio. tout se meut sans répit, comme si seul ce mouvement incessant pouvait donner naissance et vie a son art.
Ici «Incantesimo» c’est une affiche d’une compagnie de navigation triestine qui ouvre les portes imaginaires de l’Asie, de l’Afrique et de l’Australie au petit chaperon rouge que l’artiste y a introduite en contrebande. La «Desert Song» c’est une photographie de la Sainte Thérése du Bernin, collée entre deux locomotives sur des billets de train Rome-Turin, qui vient trouver un nouveau sens á son extase. Le transport du voyage. On ne manquera pas de remarquer encoré, au sein de ce kaleidoscope de formes et d’images en expansión constante la récurrence des images de musique, en particulier de celle qui s’improvise. Un saxophoniste vient se coller et se redoubler sur un autre billet de train. Du pavillon d’une trompette surgit un transatlantique.
Un violoncelle divise le tableau de la verticale de ses cordes. C’est que la musique aussi est mouvement, une autre facón en quelque sorte de suggérer une échappée radicale: il ne s’agit’plus cette fois de franchir les bords du tableau, mais ceux de la visión. Peut-étre est-ce pour cette raison que depuis quelques temps pieds et surtout chaussures —il est vrai, deja bien útiles aussi a qui ne revé que de voyager- se sont mis a envahir les juvres de Pilar Cossio. Hanté par la musique, son art ne se serait-il pas tout simplement mis á se mouvoir sur place? ce qu’on appelle aussi «danser».
DANIEL SOUTIF Paris. fevrier 2002