PRESS NOTE- Pilar Cossio exposition – Galerie Artemisa. París, 2006

exposición PILAR COSSIO
GALERIE ARTEMISIA,
52 rue de verneuil 75007 PARIS

roses livides
roses livides-fotomontage/t.mixte

«roses livides»- 2003

Il est, parmi les œuvres de Pilar Cossio, un étonnant dessin qui montre fragmentairement une robe de femme. Le cadre choisi par l’artiste concentre le regard sur le buste et le bassin du modèle. La taille marquée par une ceinture légère joliment nouée divise la feuille à mi hauteur tout en déportant l’image vers la gauche comme si une erreur de visée avait failli laisser le motif s’échapper du cadrage.

Curieusement, les tracés, par ailleurs plutôt graciles, viennent au contraire s’accumuler comme compulsivement pour former une tache sombre à l’endroit où le tissu, tel un châle croisé sur la poitrine, épouse le sein gauche de ce corps de femme qui, quoiqu’à peine esquissé, s’annonce là et déjà nous attire.

Accumulés en longues vagues qui semblent couler du bord supérieur droit, les traits qui ainsi concentrent toute la gravité de cette singulière image prennent vite une espèce d’autonomie. À trop les regarder, voilà que peu à peu on en perd la signification initiale et qu’ils deviennent chevelure ou peut-être même fleuve ou rivière.

Ce motif si dynamique emporterait certainement toute l’image dans son flux si ne l’interrompait sèchement la verticale qui en marque la rencontre avec l’autre moitié de la pièce de vêtement, celle qui, symétriquement couvre, mais bien plus discrètement, le sein gauche. Bien que dotés d’une moindre présence, d’autres lignes viennent ajouter à ce dessin, dont l’aspect anodin s’avère donc vite une trompeuse apparence, un autre décalage de nature, cette fois, paradoxalement photographique : sur la droite, les pourtours du corps de la femme ou, plus exactement, de son vêtement sont redoublés comme par un de ces effets de bougé que la maladresse nous amène parfois à produire involontairement lorsque nous photographions.

À vrai dire, Borderline (puisque tel est le titre du dessin de la robe) n’est pas la seule œuvre de Pilar Cossio a s’appuyer sur ce genre de redoublement de l’image. On en trouverait une autre forme dans d’autre dessins, dans celui intitulé Bahia Arco Gas comme dans cette image de petite fille titrée Autour les choses ou, plus explicitement encore, dans une œuvre effectivement photographique cette fois qui, sous le titre Hamburg II, montre une humaine (un androgyne, un homme ?) coupée vers le haut à hauteur des lèvres, vers la bas à la naissance supérieure de la poitrine.

De telles images peuvent aider à résumer certains des sentiments que ne peut manquer de susciter l’art de Pilar Cossio. Chez elle en effet, les corps ne se révèlent au spectateur que sous le régime de l’absence ou de l’éclipse, disparus ou en voie de disparition, emportés par un déplacement permanent qui ne nous laisse d’eux que des traces fugitives ou, si elles sont plus stables, seulement métonymiques.

Je reviendrais dans un instant sur ce dernier point, mais seulement après avoir souligné que, dans tous les cas, rarissimes sont les visages et que, lorsqu’il arrive que l’un ou l’autre apparaisse, comme celui de l’enfant de Autour les choses, il est comme saisi d’un vertige intérieur qui le projette à une distance peut-être encore plus infranchissable, comme s’il appartenait à un autre monde diaphane . (Dans le cas de Autour les choses, cette sensation est encore accentuée par surimpression puisque le dessin est recouvert par une image peut-être photographique montrant un chalet, un sapin.)
Seulement dans cet autre monde — emporté par le temps et ne vivant que dans la mémoire — on pourrait retrouver enfin ces femmes dont il ne nous reste plus que ces signes métonymiques, et tout particulièrement ces escarpins précieux, magiques, nimbés d’une aura chirurgicale (plexiglas, serre-joints agressifs), que Pilar Cossio exhibe sans trêve. Au sujet de ces exhibitions froides mais intenses, certains ne manqueraient pas d’invoquer la tradition freudienne et l’article de 1927 dans lequel figure la déclaration fameuse du fondateur de la psychanalyse : « Je vais certainement décevoir en disant que le fétiche est un substitut du pénis. »

Cependant, même accompagnée de la précision qui suit immédiatement et selon laquelle le fétiche n’est pas le substitut de n’importe quel pénis, mais celui « du phallus de la femme (la mère) auquel a cru le petit enfant et auquel, nous savons pourquoi, il ne veut pas renoncer », même si plus loin dans le texte, Freud explique que pied et chaussure sont « les fétiches préférés » précisément parce que « le garçon a épié l’organe génital de la femme d’en bas, à partir des jambes », une lecture freudienne des œuvres de Pilar Cossio verserait immanquablement dans l’anecdotique et le cliché. Certes, la métonymie dont elle s’élabore repose bien sur l’absence, mais pas nécessairement celle résultant de la castration, ce soi-disant destin à rebours de la féminité.

Et, s’il faut à toute force invoquer le fétichisme, alors il convient de le prendre par son versant magique, antérieur au freudisme, par ce versant si bien perçu par Binet, cet autre médecin de l’âme selon qui « tout le monde est plus ou moins fétichiste en amour » et qui, a en croire la lecture qu’en a fait J.-B. Pontalis, a su reconnaître dans « le fétichisme sexuel, plutôt qu’une aberration de l’amour, son secret » 1. Ainsi entendu le fétiche justifie alors qu’on l’adore, comme le supposé primitif adore le sien en vertu des pouvoirs mystérieux qu’il lui attribue.

En d’autres termes, chez Pilar Cossio c’est la femme elle-même, non son pénis sectionné, qui s’est absentée, envolée de ces escarpins si gracieux, comme la danseuse dePavana a déserté son tutu qui désormais, libéré de la pesanteur, flotte dans l’air nimbé d’un halo de lumière tandis qu’au sol un miroir circulaire transforme son dessous en abyme. Qui sait d’ailleurs si ce n’est pas en traversant la surface de ce miroir que se serait échappée la danseuse pour éternellement nous manquer ?

Existe, entre las obras de Pilar Cossio, un dibujo sorprendente que muestra el fragmento de un vestido de mujer. El encuadre escogido por la artista concentra la mirada sobre el busto y la pelvis de la modelo. El talle marcado por una sutil cintura , deliciosamente anudada, divide la superficie a media altura a la vez que desplaza la imagen hacia la izquierda como si un error de enfoque hubiera estado a punto de dejar que el motivo escapase del cuadro. Curiosamente, los trazos, especialmente delicados, se acumulan sin embargo compulsivamente para formar una mancha oscura en el lugar en que la tela, como si fuera un chal cruzado sobre el pecho, abraza el seno izquierdo de este cuerpo de mujer que, aunque apenas esbozado, se insinua y nos cautiva .
Reunidos en amplias ondas que parecen fluir del borde superior derecho, los trazos que concentran así toda la gravedad de esta singular imagen, adquieren enseguida una especie de autonomía. A fuerza de mirarlos su significado inicial se pierde y se convierten en cabellera o en rio, o en corriente. .Esa vitalidad arrastraría toda la imagen en su flujo si no lo interrumpiera de golpe la vertical que marca el encuentro con la otra mitad del vestido , la que cubre simetricamente pero de manera mas discreta, el seno izquierdo. Hay otras líneas , dotadas de una presencia menor, que añaden al dibujo, cuyo aspecto aparentemente anodino, enseguida se revela engañoso, otra divergencia de naturaleza, esta vez paradójicamente fotográfica : a la derecha, los contornos del cuerpo de la mujer o, más exactamente de su vestido, son dobles como por uno de esos efectos de desenfoque que a veces se producen involuntariamente mientras fotografiamos . A decir verdad , Borderline ( tal es el título del dibujo del vestido ) no es la única obra de Pilar Cossio que se apoya en la doble imagen. Encontraremos otras formas en otros dibujos, el titulado Bahía Arco Gas o en la imagen de la niña cuyo título es Autour les choses o, más explícitamente aún, en una obra, esta vez de hecho fotográfica , que bajo el título Hamburg II, muestra una figura humana (¿un andrógino, un hombre? ) cortada por arriba a la altura de los labios, y por debajo en el nacimiento superior del pecho.

Estas imágenes pueden ayudarnos a resumir algunos sentimientos que el arte de Pilar Cossio no puede dejar de suscitar. En su obra en efecto, los cuerpos sólo se revelan al espectador desde la ausencia o el eclipse, desaparecidos o a punto de desaparecer. Su naturaleza en permanente desplazamiento no nos deja de ellos mas que unas huellas fugitivas, o si son estables, son solamente metonimicas . Volveré más adelante sobre este último punto, pero solo después de haber señalado que, en todo caso, son escasísimos los rostros y que, cuando aparecen, como el de la niña de Autour les choses, parecen surgir de un vértigo interior que les proyecta a una distancia aún más infranqueable, como si perteneciesen a otro mundo diáfano. ( En el caso de Autour les choses, esta sensación está aún más acentuada por la sobreimpresión ya que el dibujo está recubierto por una imagen, quizás fotográfica, que muestra una casa , un abeto.)

Sólo en ese otro mundo – transportado por el tiempo y vivo nada mas que en la memoria – podrían encontrarse estas mujeres de las que solo nos quedan esas huellas metonimicas y sobre todo esos escarpines preciosos y mágicos, nimbados de un aura quirúrgica ( plexiglás y agresivas abrazaderas metalicas ), que Pilar Cossio muestra sin tregua. En cuanto a estas exhibiciones frías pero intensas, algunos se atreverían a invocar la tradición freudiana y el articulo de 1927 en el que figura la famosa declaración del fundador del psicoanálisis: “Yo voy seguramente a defraudar al decir que el fetiche es un substituto del pene.” Incluso acompañada de la precisión que sigue, según la cual el fetiche no es el sustituto de cualquier pene, sino el “del falo de la mujer ( la madre) en el cual ha creído el niño y al cual, no sabemos por qué, no quiere renunciar”. Incluso ,cuando más adelante en el texto, Freud explica que pie y zapato son “los fetiches preferidos”, precisamente porque “el niño ha espiado el órgano genital de la mujer desde abajo, a partir de las piernas”, una lectura freudiana de las obras de Pilar Cossio caería en lo anecdótico y el estereotipo. Es evidente que la metonimia sobre la cual se elabora, reposa en la ausencia , pero no necesariamente en aquella resultante de la castración, el llamado destino a la inversa de la feminidad. Y, si necesariamente hubiera que invocar el fetichismo, conviene entonces hacerlo por su vertiente mágica, anterior al freudismo, esa vertiente tan bien percibida por Binet, el otro médico del alma, según el cual “todo el mundo es más o menos fetichista en amor” y que, de creer en la lectura que de ello ha hecho J.-B. Pontalis, ha sabido reconocer en “el fetichismo sexual, más que una aberración del amor, su secreto” 1 . Así entendido el fetiche justifica pues que se le adore, de la misma manera que el supuesto primitivo adora el suyo en virtud de los poderes misteriosos que le atribuye.

En otras palabras, en la obra de Pilar Cossio es la mujer misma, no su pene seccionado, la que se ha ausentado, se ha ido de esos preciosos escarpines, de la misma manera que la bailarina de Pavana ha abandonado su tutú y a partir de entonces, libre , flota en el aire nimbado por un halo de luz , mientras que en el suelo un espejo circular transforma su interior en abismo. Por lo demás ¿Quién sabe si no fué a través de este espejo que escapara la bailarina, para que eternamente sintieramos su ausencia ?

DANIEL SOUTIF, 2006.PARIS

1. El artículo de Freud sobre el Fetichismo está íntegramente reproducido en el número 2 Objetos del Fetichismo de la Nueva revista de Psicoanálisis (otoño 1970) de donde provienen igualmente las citas de Binet y de J.-B. Pontalis